Avec St. Anger, Metallica devait prouver qu’il existait encore. A ses fans autant qu’à ses
détracteurs... Voire à lui-même. Pari réussi ? Au vu de la polémique qu’a provoqué ce nouvel
opus, oui. Une bombe de controverse comparable en leur temps au Black Album ou à Load.
1983-2003. Après 20 ans d’existence discographique, on annonçait déjà St. Anger comme un retour
aux sources. Il n’en est rien. Il n’en a jamais été question d’ailleurs. Metallica n’a jamais
fait de déclarations en ce sens. Tout juste s’est-il risqué à quelques comparaisons pour les
fans qui ne peuvent juger un album qu’en « comparant » : on parlait alors d’agressivité digne
d’un Kill’em All, bénéficiant des 20 ans d’expérience du groupe. Autant dire que nous n’étions
pas plus avancés !
A l’heure H, ce 5 juin 2003, la surprise n’est pas totale. Nous avons eu droit à une foultitude
de fakes sur le net, puis le JITS nous en a dévoilé des bribes. La presse spécialisée a mis des
mots dessus. Le clip de St. Anger nous est ensuite parvenu, précédant de peu des extraits du
DVD live. Enfin les MP3 ont envahi nos ordinateurs avant la date fatidique, avant que nous
ayons l’objet convoité entre les mains. Mais ce fichu album attendu depuis si longtemps est là,
enfin là !
Le digipak est superbe. Pushead (qui avait déjà signé tout l’artwork de Justice - sauf la cover)
a fait un travail qui, s’il ne déroute pas par son originalité, créera la polémique sur les
goûts et les couleurs... Attaquons tout de suite les bonus (anti-copies de l’album ?) : assez
anecdotique (quoique), un code Internet glissé dans l’album permet de se connecter sur le site
Metallicavault.com et y télécharger trois boots (1994, 1996 et 1998). Plus intéressant, le DVD
est une idée géniale et voir le groupe (Rob Trujillo à la basse) se faire St. Anger en intégral
en studio est carrément grandiose ! Une vidéo signée Wayne Isham (Cunning Stunts, S&M, I
Disappear, etc...) dont le côté « brute » colle à l’album.
Car St. Anger est primaire, sa musique est brutale. Alors que le groupe se cherchait entre le
départ de Jason et la cure de James, alors que l’avenir était incertain, Metallica a laissé
libre court à ses pulsions, à la « colère ». James, Lars, Kirk (mais aussi Bob Rock -
producteur, bassiste et crédité à la composition) ont voulu exprimer puissamment leurs
sentiments avec un album plein de hargne. Un exutoire dont l’écoute n’est pas si simple pour
nous, fans ou profanes.
Car encore une fois, Metallica a sorti un album surprenant, loin de tout ce qui a déjà été
exploré. Certains n’ont pas hésité à dire que St. Anger donnait l’impression que le Black
Album n’avait jamais existé pour Metallica. Ils se trompent. St. Anger est l’antithèse parfaite
de la production sophistiquée du Black Album : une volonté délibérée de sonner « cru », pour
capter intactes les vibrations des morceaux tels qu’ils sont nés en studio. Il n’y a pas eu des
centaines de prises pour les instruments et pour le chant. Ce n’est pas un album de démos non
plus ! St. Anger sonne plus comme une succession de jams enregistrés dans un garage. Metallica
a les moyens (matériels et humains) de sortir un album au son nickel. Ils ont donc « choisi »
de faire sonner ainsi St. Anger. Toutes les approximations (son de la batterie, voix non polie
par des heures de mixage) sont voulues ! Artistiquement, St. Anger sonne vrai, mais musicalement
c’est plus un « suicide commercial » ! Beaucoup ont été déroutés et déçus.
Musicalement, les titres qui composent St. Anger forment un tout homogène. On est loin de Load
/ Reload, des albums bien plus diversifiés, tant au niveau des compos que du son. Là où Reload
n’était qu’expérimentation, St. Anger va dans le sens de la spontanéité. St Anger propose
également de multiples changements de rythmes, des cassures difficiles à appréhender en une
écoute. En ce sens, il s’oppose ici encore au Black Album plus simple, plus direct dans ses
structures. Ce n’est pas une resucée de And Justice For All non plus. L’heure n’est plus à la
précision mécanique d’un tel album! D’ailleurs, c’est peut-être par là qu’il faut chercher
l’explication à l’absence de solos sur St. Anger : lorsque la spontanéité est de mise, la
sophistication des solos - inhérente à ce genre d’exercice - les rend peut-être hors-sujet.
Au final, on aime ou on déteste. Parmis les détracteurs, il y a d’une part les éternels déçus
qui attendent leur Master Of Puppets 2 comme le messie, et puis il y a ceux qui ont trop
fantasmé sur cet album depuis 6 ans (notamment l’effet pervers d’une bonne idée comme le JITS).
Beaucoup ont écouté St. Anger avec des a priori, « leur » conception de Metallica et du metal
en général. Résultat ? Une nouvelle polémique.
Sur quoi portent justement ces polémiques ? Commençons par le son. Beaucoup ont craché sur le
son « commercial » du Black Album. Aujourd’hui St. Anger bénéficie d’une production minimale,
très « garage », bref : anti-commerciale, collant à la démarche primaire du groupe. Et certains
le leur reprochent encore ! Si on veut pousser la réflexion plus loin, la batterie de Lars est
l’aboutissement - certes extrême et discutable - de cette production primaire. Les morceaux de
St. Anger sont-ils desservis par ce son ? Oui pour certains. Mais d’obscurs groupes de
black/death à la prod abominable ne reçoivent pas de telles critiques. Ces groupes ne
s’appellent pas Metallica...
Deuxième réaction : St. Anger ne serait pas sincère, n’est que « fausse rage » (sic). Déjà,
passons sur le ridicule de telles affirmations qui supposent avoir une connexion directe au
cerveau de James ou Lars et connaître ainsi leurs motivations. Ensuite, si tous les problèmes
persos du groupe ne suffisent pas à justifier ce retour à la colère (à l’agressivité)... C’est
autrement plus sincère, que de proposer du bourrin depuis toujours... Parce que c’est comme ça !
D’ailleurs St. Anger n’est pas que bourrinage comme j’ai pu le lire ici ou ailleurs. L’album
possède ses relents de mélodies qui font la marque du groupe.
La comparaison hasardeuse avec And Justice For All a fait monter au créneau tous les adorateurs
de cet album. Car St. Anger ne serait pas technique...
Déjà, nul n’a prétendu que St. Anger est technique. Il est juste complexe. Oh, pas tant pour la
technicité de l’ensemble, mais plutôt pour les structures des morceaux, véritable chaos
organisé. Aux dires de Lars, Justice était trop mécanique, sans âmes, avec de longs
enchaînements techniques. St. Anger, je le répète, est plus à prendre comme des jams.
Ce qui m’amène à la critique suivante : St. Anger serait trop... long !? Réécoutez Master,
Justice ! Non, si la longueur est critiquée, c’est parce que l’auditeur s’ennuie ou n’accroche
pas aux morceaux. Ok, mais les répétitions existaient déjà : réécoutez Disposable Heroes, And
Justice For All (le titre) : ne me dites pas que les structures ne se répètent pas ! Et si c’est
un solo de 10 secondes sur 8mn qui fait passer la pilule, alors... A propos de solo, « mais où
est passé Kirk » ? Rions un bon coup : Kirk joue de la rythmique (au même titre que James)
depuis 1996 ! Et je ne parle pas de sa participation à la composition...
Faisons un point. St. Anger a une production minimale, est agressif, relativement complexe et
étiré en longueur. Et avec tout ça, St. Anger serait commercial ? Quelle ineptie... Metallica
reste un groupe énorme qui bénéficie de tous les médias disponibles pour sa promotion. Où est le
problème? Le couplet sur l’honnêteté des groupes qui restent underground, ça va cinq minutes.
Non, au-delà des critiques Metallica/médias, c’est un côté néo-metal (comprenez : metal
« commercial ») trouvé sur St. Anger qui en a dérangé plus d’un. Si St. Anger se vend,
Metallica aura touché les fans de néo (sic). S’il ne se vend pas, c’est parce que l’album
est nul (re-sic)... D’où est venu cette critique incongrue ? D’une part, de certaines sonorités
modernes réappropriées par Metallica (quelques parties de chant, d’autres de guitares), et de
l’absence de solos. Mouais...
Ca fait peu ! Les groupes de néo produisent des albums au son impec, font des titres courts,
aux structures simples d’accroche, bénéficiant de gros refrains. Qui plus est, le néo puise
dans les scratchs, le rap, la pop. Bref, où est St. Anger là-dedans ?
1996 : Load sort, et Metallica part faire le Lolapalooza, un festival alternatif. Donc Load est
alternatif n’est-ce pas ? 2003 : St. Anger sort, et Metallica part faire sa tournée avec Limp
Bizkit et Linkin Park, groupes néo. Donc St. Anger est néo n’est-ce pas ? Et si le Black Album
n’était pas sorti « avant » la vague Nirvana, on aurait sûrement qualifié cet album de grunge.
N’importe quoi... Certains avancent donc encore que St. Anger ce n’est pas du Metallica. Oui,
comme Load/Reload ne l’étaient pas , le Black aussi et Justice également (si, si on trouve
des « fans » pour vous dire que Le Vrai Metallica - avec des Majuscules - est mort en 1986
avec Cliff).
Croire que Metallica pourrait refaire un album tel que Master Of Puppets relève de la bêtise.
Les temps sont différents, les gens aussi. James, Lars et Kirk n’échappent pas à cette règle
de bon sens : humainement et musicalement, Metallica n’est plus le même. Le groupe ne peut
pas ressortir un tel album. Plus important encore, Metallica ne le veut pas. Ses membres n’ont
eu de cesse de nous montrer qu’ils voulaient aller de l’avant. Ce n’est pas une surprise.
Pourquoi s’en étonner encore en 2003 ?
Lars a dit en son temps que le metal est le genre le plus intégriste qui soit, et il a raison.
Comme d’habitude avec Metallica, c’est à nous d’aller vers l’album et non l’inverse ; c’est à
nous de comprendre la démarche et tant pis pour ceux qui ne pigent pas. Car St. Anger est une
renaissance, qui, au-delà de toutes les considérations, permet une nouvelle fois à Metallica
de se réinventer.